AL-ANDALUS
ou
djazîrat
al-andalus,
C’est le terme géographique par lequel
on a désigné dans le monde de l'Islam jusqu'à la fin du moyen
âge la Péninsule ibérique, c'est-à-dire l'Espagne et le
Portugal actuels.
I.
Valeur toponymique du terme al-Andalus.
II.
Aperçu géographique.
III.
Esquisse de géographie historique.
IV.
Population d'al-Andalus.
V.
Mise en valeur.
VI.
Vue générale de l'histoire d'al-Andalus. Appendice: les
Andalous en Afrique du Nord.
VII.
L'Islam andalou.
VIII.
Littérature et culture andalouses.
IX.
L'art andalou.
X.
L'arabe hispanique.
I. — valeur toponymique du terme al-andalus.
Le nom al-Andalus,
qu'on a tenté, sans arguments convaincants, de mettre en rapport
avec celui des Vandales (al-Andalîsh), qui auraient
dénommé la Bétique Vandalicia, quand ils traversèrent
la Péninsule ibérique avant d'envahir l'Afrique
du Nord, apparaît mentionné dès 98/716 sur un dinar bilingue,
la légende latine donnant comme correspondant le terme Spania.
C'est ce dernier terme, ou son doublet Hispania, qui
seront les seuls employés par les chroniques latines
hispaniques les plus anciennes pour désigner la Péninsule
ibérique prise dans son ensemble, c'est-à-dire
les deux Espagnes, la chrétienne et la musulmane. Au
contraire, l'emploi du terme al-Andalus par les écrivains arabes
apparaîtra toujours exclusivement limité à l’l'Espagne
musulmane, quelle que soit son extension territoriale, de plus
en plus réduite au fur et à mesure des progrès de la Reconquête
chrétienne (nous emploierons toujours ici l'équivalent espagnol
Reconquista). Si bien que lorsqu'il ne restera plus au
pouvoir de l'Islam dans la Péninsule que la petite principauté
nasride de Grenade, le terme al-Andalus servira à désigner le
seul territoire de ce royaume exigu. Par contre, il y aura
longtemps qu'auront apparu, chez les chroniqueurs musulmans, les
noms, transcrits en arabe, d'Ishbâniya (Hispania, b
Espana) et des principautés chrétiennes issues des J
progrès de la Reconquista : Liyûn (Léon), Kashtâlla
ou Kashtîla (Castilla, Castille), Burtukâl (Portugal),
Arâghûn (Aragon), Nabârra (Navarra, Navarre).
Du nom al-Andalus
— on trouve parfois, en I particulier chez Ibn
Kuzmân, la forme al-Andulus — dérivent l'ethnique
andalusî et la forme collective ahl al-Andalus. Ce
terme s'est perpétué dans l'usage moderne pour désigner
l'ensemble géographique formé par la région subméditerranéenne
(zones littorales et haut pays) correspondant, ide l'Est vers
l'Ouest, depuis la province actuelle d'Almeria jusqu'à celle
de Huelva, à une région naturelle qui est l'Andalousie (esp. Andalucia)
et dont les habitants sont dénommés Andaluces (sing.andaluz).
II — APERCU GEOGRAPHIQUE.
1.
Milieu physique
La Péninsule
ibérique constitue, au Sud-ouest de l'Europe, un promontoire
massif, de forme à peu près pentagonale, qui se soude au
continent par la chaîne des Pyrénées et a les autres faces de
son pourtour baignées par l'Atlantique et la Méditerranée.
Elle est située entre 43° 27' 25" et 35° 59' 30" de
latitude Nord et entre 9° 30' de longitude Ouest et 3° 19' de
longitude Est (Greenwîch). Sa superficie totale est d'environ
583.500 kma, dont le Portugal actuel couvre à peine
la cinquième partie (492.247 km2 pour l'Espagne
actuelle).
La
situation de la Péninsule, à l'extrémité occidentale du
bassin de la Méditerranée, avec une large façade ouverte sur l'Atlantique,
explique beaucoup de circonstances de son" histoire à
travers les âges. Isolée par la barrière pyrénéenne du reste
de l'Europe continentale, elle n'est par contre séparée de l'Afrique
que par une faille étroite, le Détroit de Gibraltar, limité au
N. et au S. par les têtes de pont de Tarifa et de Ceuta. Il en
résulte un caractère d'insularité, qui a longtemps laissé le
bloc ibérique en dehors des influences d'outre-Pyrénées,
tandis qu'elle demeurait ouverte, dès la plus haute antiquité,
aux influences de l'Orient, par la voie classique du cheminement
méditerranéen.
La
Péninsule hispanique est l'un des pays les plus accidentés d'Europe.
Il comporte essentiellement, si l'on examine sa structure
générale, un vaste plateau central qui n'occupe pas moins de la
moitié de sa superficie, la Meseta, d'une altitude moyenne de
600 m., correspondant aux deux Castilles, la Vieille (Castilla la
Vieja) et la Nouvelle (Castilla la Nueva) et l'Estremadure. La
Meseta est limitée par de hauts escarpements montagneux, au Nord
par la Chaîne cantabrique, au Nord-est et à l'Est par la
chaîne des Monts ibériques, au Sud, par le relief étage de la
Sierra Morena (Chaîne subbétique), à l'Ouest par les hautes
terrasses de la Galice et du Portugal. Le plateau accuse en outre
trois profondes dépressions latérales : celles de l'Ebre, du
Guadalquivir et du Tage inférieur. Au Sud, le « système
pénibétique » dresse une masse montagneuse qui a, soulevé la
plus grande partie de la haute Andalousie, dans un
enchevêtrement de chaînes (en esp. sierra, «scie»; en
arabe al-shârrât), dont la plus élevée est la Sierra
Nevada (point culminant : le Mulhacén, 3481 m.).
Il
résulte de cette architecture orographique tourmentée que l'altitude
moyenne du sol de la Péninsule n'est pas inférieure à 660 m.
Si l'on ajoute que la proportion des terres basses, d'une
altitude de moins de 500 m., n'est que de 40 %, on comprendra les
difficultés auxquelles s'est toujours heurtée, sur la plus
grande partie du pays, la mise en valeur d'un sol asséché la
plupart du temps par le peu d'abondance des précipitations et le
faible débit des cours d'eau.
2.
Climat
La
Péninsule est un pays de climat sec et en général tempéré,
en dépit d'oscillations extrêmes dans les régions de haute 3t
moyenne altitude, qui échappent à l'influence modératrice de l'Atlantique
ou de la Méditerranée. Les hivers y sont rigoureux, et les
étés souvent torrides. Il faut faire exception pour les zones
sublittorales, en particulier pour la dépression largement
ouverte de l'Andalousie maritime.
En ce qui
concerne les pluies, il faut distinguer entre l'Espagne sèche et
l'Espagne humide. Cette dernière correspond, à partir de la
pointe Ouest des Pyrénées, au pays basque, à la côte
cantabrique et à presque tout le Portugal actuel. L'Espagne
sèche, qui couvre près des deux tiers de la Péninsule,
bénéficie de précipitations essentiellement variables, allant
d'une moyenne annuelle de 600 millimètres de pluie à moins de
400. Dans de nombreux cas, les effets bienfaisants de la pluie
sont neutralisés pas l’évaporation, dans la mesure où il n'est
pas possible, comme dans le Levante (régions de Valence et de
Murcie) de remédier à cet état de choses par l’irrigation
des terres asséchées.
Le
Nord et le Nord-ouest de la Péninsule et en général tout le
littoral atlantique, jouissent, grâce à l’humidité et à la
nébulosité qui leur sont propres, d'une température
relativement clémente. De même, dans la zone méditerranéenne,
depuis la Catalogne et le Levante jusqu'au littoral de l'Andalousie,
les hivers sont tempérés, avec une forte insolation et une
luminosité et une transparence de l'air très caractéristiques.
3.
Hydrographie
Son
relief, son climat et la nature de son sol souvent imperméable
expliquent la pauvreté de la Péninsule en eau et le débit
irrégulier de ses cours d'eau, presque toujours à sec au moment
de la canicule, lorsque l'évaporation atteint son
maximum. Ces cours d'eau ont les mêmes caractéristiques que les
oueds nord-africains : alternances de sécheresse quasi totale du
lit ou de crues subites, qui les transforment en torrents, avec
les phénomènes désastreux d'érosion et d'alluvionnement qui s'ensuivent.
Les
fleuves qui courent en direction du Nord et de l'Ouest sont en général
des fleuves côtiers assez courts, dont le principal est le Mino
(port. Minho), qui sert de frontière septentrionale au
Portugal et se jette dans l'Atlantique. C'est vers l'Océan que
coulent également trois fleuves au débit fort irrégulier et
qui drainent au passage les eaux de la Meseta, le Duero (port. Douro),
le Tage (esp. Tajo, port. Tejo) et le Guadiana
a, dont l'estuaire forme la limite méridionale entre l'Espagne
et le Portugal. Le plus important fleuve de la Péninsule est le
Guadalquivir qui, prenant sa source dans l'un des nœuds
orographiques du Sud-est de la Meseta, s'enrichit d'un certain
nombre d'affluents, dont le plus important est le Genil, qui
vient de la Sierra Nevada et bénéficie en été des eaux
provenant de la fonte des neiges de ce massif. Le Guadalquivir
est le seul fleuve de la Péninsule dont le cours inférieur, sur
ses 120 derniers kilomètres, soit navigable. A la côte
levantine accèdent quelques oueds de régime torrentiel qui
proviennent du rebord de la Meseta et peuvent fournir, au moyen
de barrages, des réserves d'eau en général assez
problématiques en vue de l'irrigation. Tels sont notamment le
Segura et le Jucar, aujourd'hui utilisés pour la mise en valeur
de la huertar de Valence.
L'Ebre,
qui prend sa source près du pays basque, reçoit les eaux du
versant Sud des Pyrénées (Aragon, Segre) et, après un cours
difficile qui, à cause de la faiblesse des pentes, amaigrit peu
à peu le volume de ses eaux vers l'aval, s'incline vers la
Méditerranée, où le fleuve se jette après avoir traversé un
important delta d'alluvions.
4. Aptitudes
générales
Le sous-sol
de la Péninsule est spécialement riche en gisements
métallifères : plomb, argent, fer, cuivre, manganèse, marbre.
Cette richesse s'étend aux sels naturels, salpêtre,
magnésie, silicates. Quant à ses aptitudes végétales,
elles varient du tout au tout suivant qu'il s'agit de l'Espagne
sèche ou de l'Espagne humide. Dans la première, trois types de
végétation, le plus souvent associés dans la zone
méditerranéenne, prédominent : le bois (arbres à feuillage
persistant, diverses variétés de pins et de
chênes-verts ou chênes-lièges), le maquis (esp.
monte bajo) et la steppe (buissons bas, sparte). Dans l'Espagne
humide, au contraire, le paysage demeure verdoyant toute l'année,
grâce à la présence de forêts et de prairies spontanées.
Il
résulte de cette polymorphie naturelle que l'Espagne est le pays
le plus contrasté qui soit. C'est un lieu commun de constater qu'on
y passe souvent presque sans transition de la vallée (vega) d'un
cours d'eau à la végétation luxuriante, à la steppe brûlée
par le soleil et par les vents.
III
— esquisse de géographie historique d’al-andalus.
1.
Descriptions d'al-Andalus
Les
œuvres des géographes arabes, orientaux et occidentaux, qui
nous ont été conservées forment la partie essentielle de notre
information sur al-Andalus au moyen âge, sa mise en valeur et l'exploitation
de ses ressources naturelles. Ce sont d'abord les routiers (masâlik)
publiés par De Goeje dans la BGA, qui n'accordent du
reste à l'Espagne qu'une place fort restreinte : les plus
anciens, ceux d'Ibn Khurradâdhbih, d'al-Yackûbî, d'Ibn
al-Faqîh et d'Ibn Rusta permettent, à cause de la brièveté de
leurs descriptions, de présumer que jusqu'au IVe/Xe
siècle, al-Andalus demeura une province de l'Islam assez
mai connue du monde oriental. A partir de la restauration du
califat marwânide, à Cordoue, la documentation géographique
sur al-Andalus se précise, tout en apparaissant encore fort peu
élaborée. Les développements que lui consacre al-Istakhrï (m.
322/934) concernent l'agriculture et le commerce et décrivent
quatorze itinéraires à l'intérieur de la Péninsule. Son
contemporain Ibn Hawkal a l'avantage d'avoir visité lui-même l'Espagne
et d'avoir mis à jour sa documentation en interrogeant des
informateurs de passage; mais le tableau fourni d'al-Andalus,
sous la plume de cet écrivain pro-fâtimide, est trop souvent
partial; c'est en tout cas la première description rationnelle,
à la fois nourrie et cohérente, du royaume cordouan qui soit
parvenue jusqu'à nous. Non moins dignes d'attention sont les
informations fournies par le palestinien al - Muqaddasî (fin du
Xe siècle) qui, bien qu'il n'ait pas visité lui-même
la Péninsule, apporte d'importantes précisions, qui semblent
avoir été puisées à bonne source, notamment sur l'activité
intellectuelle, la langue, la métrologie et le commerce du pays.
A
partir du califat et aux siècles suivants, toutes les
descriptions d'al-Andalus, composées surtout en Occident, vont
être tributaires de celle que le célèbre chroniqueur cordouan
d'origine orientale Ahmad al-Râzî (mort en 344/955) plaça en
tête de sa grande histoire d'al-Andalus aujourd'hui perdue et
qui fut utilisée sous forme de citations, en général anonymes,
en particulier par le compilateur Yâqût dans son Mudjam al-buldân.
La «description» d'al-Râzî, qu'on ne connaissait qu'à
travers une adaptation en castillan, publiée en 1852 par P. de
Gayangos et provenant d'une version portugaise exécutée vers le
début du XIVe siècle sur l'ordre du roi Denis de
Portugal (1279-1325), a fait récemment l'objet, de la part de l'auteur
du présent article, d'un essai de reconstitution de l'original
arabe et d'une traduction en français (dans And., XVIII (1953),
51-108).
La démonstration
est désormais faite que le schéma, dans l'ensemble fort
squelettique, fourni par la «Description» d'Ahmad al-Râzî, a
servi de cadre à la plupart des descriptions postérieures,
parmi lesquelles il convient d'accorder la première place à celle
de l'Andalou Abu 'Ubayd al-Bakrî (m. 187/1094), malheureusement
non retrouvée, mais susceptible d'être reconstituée dans sa
plus grande partie grâce aux notices sur al-Andalus qui figurent
dans le K. al-Rawd al-mi’târ du compilateur maghribin
du VIIe/XIVe siècle Ibn cAbd al-Mun’im
al-Himyarî, lequel a utilisé également les données
descriptives offertes par al-Sharîf al-Idrîsî. Il faut
ajouter à cette liste, outre les collections de ‘adjâ’ib
relatifs à al-Andalus disséminées dans les œuvres d'al-Kazwînî
et l'al-Dimashqî, les indications parfois fort étendues
colligées par le maghribin al-Maqqarî (XVIIe siècle)
dans le tome premier de son K. Nafh al-tîb.
2.
Géographie physique d'al-Andalus d’après la tradition
géographique musulmane.
Al-Andalus
forme, d'après al-Râzî, extrémité du quatrième
climat vers l'Occident est un pays largement arrosé par
d'abondants tours d'eau et de nombreuses sources d'eau douce, -es
géographes, après cette constatation, versent en énéral dans
le panégyrique et consacrent de longs Léveloppements à des laudes
Hispaniae, qui rappelant plus ou moins la manière d'Isidore
de Séville.
Al-Andalus
a la forme d'un triangle. Chacun des angles de ce triangle
correspond à un lieu célèbre dans la tradition légendaire
hispanique. L'angle inférieur, au Sud-ouest, est celui sur
lequel se dresse le temple de Cadiz, Sanam Qâdis ; le
second angle est placé, à hauteur des îles Baléares, entre
Narbonne et Bordeaux (sic) ; le troisième, au Nord ouest,
correspond à la Torre de Hercules, près de la Corogne. Ces
données sont d'ailleurs en partie illustrées par les cartes des
routiers, Ibn Hawkal et al-Idrîsî. Al-Râzî a fort bien saisi
l'une des caractéristiques de la structure physique de la
Péninsule : il faut, à son avis, distinguer entre une Espagne
occidentale et une Espagne orientale, en tenant
compte des différences qui marquent le régime des vents, la
chute des pluies et le cours des fleuves. En Espagne occidentale,
les fleuves descendent vers l'Atlantique et les pluies sont
amenées par les vents d'Ouest. Un phénomène contraire
commande le régime des vents (vents d'Est) et le cours de
ses fleuves vers l'Est en Espagne orientale.
D'autres
points de repères sont souvent donnés pour marquer certains des
points du «triangle» formé par al-Andalus : le cap Saint-
Vincent, à l'extrémité Sud-ouest du Portugal, en arabe l'«Eglise
du Corbeau» (Kanîsat al-ghurâb); le Temple de Vénus,
à l'extrémité opposée, Haykal al-Zahra (Porl-Vendres).
Pour
pénétrer daris al-Andalus en venant de l'Europe continentale (la
Gaule (Ghâlîsh) ou la «Grande Terre» (al-ard al-kabîra),
il faut traverser, en franchissant l'un ou l'autre des cols
pyrénéens (abwâb) ou «ports» (burtât),
la chaîne des Pyrénées pour aboutir au territoire des
Vascons (al-Bashkûnish) ou à celui des Francs (al-Ifrandj).
De là, on peut gagner soit le rivage de l'Océan, dit «Mer
des Ténèbres» (bahr al-zulumât) ou «Mer Verte» (al-bahr
al-akhdar) ou «mer Environnante» (al-bahr al-muhît). C'est
dans cette mer périlleuse que quelques marins audacieux se
livraient à du cabotage, depuis le pays des Noirs et les
Canaries, les «Iles Fortunées» (al-Khâlidât), jusqu'aux
confins de la Grande-Bretagne (Britâniya). Quant à la
Méditerranée, c'est la «Grande Mer» (al-bahr al-kabir), ou
la «Mer Moyenne» (al-bahr al-mutawassit), ou encore la
«Mer Tyrrhénienne» (bahr Tîrân).
De
l'avis d'al-Râzî, il n'y a en Espagne que trois chaînes de
montagnes, qui traversent la Péninsule d'une mer à l'autre,
sans qu'aucune d'elles ne soit franchie elle-même par un cours d'eau.
La première de ces chaînes est la Sierra Morena, dite Monts de
Cordoue (Djîbâl Qurtuba)t qui
se dresse à partir de la côte levantine de la Méditerranée
pour aller se terminer en Algarve, dans l'Océan. La seconde est
la chaîne pyrénéenne, entre Narbonne et la Galice. La
troisième coupe l'Espagne en biais, depuis Tortosa jusqu'à
Lisbonne. Elle correspond à la chaîne transversale dite al-Shârrât,
suivant al-Idrîsî. Toutefois, le géographe ne peut se
dispenser de mentionner en plus la Sierra Nevada (Djabal
Shulayr, «Mons Solarius») et la Serrania de Malaga (Djabal
Rayyo) qui se prolonge jusqu'à Algeciras.
Le
principal fleuve d'al-Andalus est le «grand fleuve» (al-wâdî
l-kabîr), Guadalquivir, ou al-nahr al-a’zam, ou
encore nahr Qurtuba, «fleuve de Cordoue ». On l'appelle
parfois aussi de son nom antique nahr Bîtî («Baetis»).
La longueur de son cours est de 310 milles. C'est le fleuve de la
Bétique, la partie la plus riche de la Péninsule, qui arrose
Cordoue et Séville. Ses principaux affluents sont le Genil (Wâdî
Sindîl ouShanîl), qui passe à Grenade, à Loja et à
Ecija; le Guadajoz (Wâdî Shûsh), le Guadalimar (al-wâdî
l-ahmar), ainsi nommé à cause de la couleur rougeâtre de
ses eaux, le Guadalbuliôn (Wâdî Bullûn).
Le
Guadiana (Wâdî Anâ) a une longueur totale de 320
milles et prend sa source non loin de celle du Guadalquivir. Il
disparaît sous terre sur une partie de son cours pour
reparaître ensuite sur le territoire de Calatrava. Il se jette
dans l'Atlantique, à Ocsonoba.
Le
Tage (Wâdî Tâdjû) prend sa source dans les monts de
Tolède et, après un cours de 580 milles, se jette dans l'Atlantique
à Lisbonne.
Plus
loin est encore le Duero (Wâdî Duwayro), qui a un cours
de 780 milles, reçoit de nombreux affluents et se jette dans l'Atlantique
à Porto (Burtukâl).
Un
autre fleuve important, également tributaire de l'Atlantique,
est le Mino (ou port. Minho), nahr Mînyo> qui traverse
la Galice d'pst en Ouest sur un cours de 300 milles.
Parmi les
fleuves qui descendent vers la Méditerranée, al-Râzî ne
mentionne que le Segura (Wâdî Shakûra), qui se forme
non loin des sources du Guadalquivir et l'Ebre (rio Ebro =
Wâdî Ibro), qui prend sa source à Fontibre, dans la
haute Castille et finit par se jeter dans la mer, non loin de
Tortosa, après un cours de 204 milles. L'Ebre reçoit de
nombreux affluents, dont le rio Gallego (nahr Djilliq), qui
descend des montagnes de Cerdagne (Qjibâl al-Sîrtâniyyîn).
3.
Toponymie urbaine et divisions territoriales d'al-Andalus
Al-Andalus
se signale, à toutes les époques de son histoire musulmane, par
la multiplicité de ses centres urbains, qui fait contraste avec
la pauvreté relative de l'Afrique du Nord en ensembles de
population de pareille importance. Presque toutes les villes de
l'Espagne romaine ont survécu à l'invasion arabe et continué
à prospérer. Par contre, les fondations de villes nouvelles par
les conquérants ont été extrêmement rares et presque toujours
conditionnées par des avantages stratégiques ou la création de
bases maritimes destinées à neutraliser les velléités
offensives des Fâtimides en Méditerranée occidentale. Tels
sont les cas de Murcie (Mursiya) qui supplante l'ancienne
ville d'Ello, ou d'Almeria (a/-Mariyya), d'abord simple
observatoire maritime avant d'être organisée au Xe
siècle en arsenal et port de guerre. La plupart du temps, les
anciens toponymes latins ont survécu à peu près tels quels : Corduba/Qurtuba,
Hispali/Ishbiliya, Caesaraugusta/Saraqusta, Valentia/Balansiya,
ou bien ont pris une forme diminutive Toletum, Toledo
passant à Toletula/ Tulaytula. A l'origine de certains
toponymes d'allure historique sont des calembours, Ocili devenant
Madînat Sâlim/Medinaceli, ce qui engage à supposer l'existence
mythique d'un pseudo-fondateur nommé Sâlim. Les villes pourvues
d'un nom arabe descriptif étaient l'exception : l'«Ile Verte» al-Djazîra
al-khadrâ (Algeciras). Certaines localités portaient le nom
de la tribu arabe ou berbère qui les avait peuplées après la
conquête : Baliy (Poley), Ghâfik au Nord de
Cordoue, Miknâsa (Mequinenza) en Aragon. Dans le Levante,
témoin d'une arabisation plus profonde, beaucoup de lieux dits
étaient des noms de «stations» assorties d'un prénom arabe :
tels Manzil ‘Atâ’ (Mislata) et Manzil Nasr (Masanasa),
dans la banlieue de Valence. Beaucoup de toponymes de la région
valencienne sont composés comme des noms de tribus, en Béni et
le nom de l'ancêtre éponyme
Quand
Ahmad al-Râzî rédige sa description d'al-Andalus, l'Espagne
musulmane est déjà séparée de l'Espagne chrétienne par une
ligne de confins, sorte de no man's land, flanquée sur son
pourtour par trois Marches, (thughûr) : al-a’lâ, al-awsat,
al-adnâ. Déjà maintes régions de la Péninsule, depuis
longtemps évacuées sous la pression des premières
manifestations de la Reconquista, ont échappé définitivement
à al-Andalus, la Marche Hispanique à l'Est, le pays basque au
centre, la côte cantabrique à l'Ouest. La célèbre expédition
menée contre Saint Jacques de Compostelle (Shant Yâqub) par
le cAmiride al-Mansûr ne sera qu'un raid
spectaculaire, mais sans lendemain. Il y a donc sous le califat
une portion de l'Espagne définitivement perdue pour l'Islam et
que celui-ci ne songe nullement à récupérer. Mais l'organisation
provinciale d'al-Andalus demeure inchangée.
Cette
organisation date déjà du VIIIe siècle, et est
ainsi antérieure à la restauration marwânide. Elle a pour base
la circonscription provinciale (kûra), pourvue d'un chef-lieu,
d'un gouverneur et d'une garnison. Les listes de kûras à l'époque
califienne sont assez variables; al-Muqaddasî en fournit une,
incomplète, de 18 noms seulement. Yâqût en dénombre au total
41, chiffre qui se rapproche de celui d’al-Râzî, qui en
décrit successivement 37. Plus tard, al-Idrîsî présentera une
division, non en kûras, mais en «climats» (iqlîm), dépourvue
valeur administrative et présentant maintes dénominations qui
doivent être résolument rejetées comme apocryphes.
En
utilisant les données d'al-Râzî, qui suit un ordre
concentrique autour de la capitale, et d'al Bakrî, on peut assez
aisément déterminer la physionomie de chacune des principales kûras
de l'organisation provinciale califienne. Chacune portait d'ailleurs
en général le nom de son chef-lieu, sauf quelques exceptions
signalées plus loin : la kûra la plus importante était
celle de Cordoue, limitée au Nord par celle du Fahs al-ballût (Llano
de los Pedroches, «plateau des chênes à glands»), dont le
chef-lieu était Ghâfik (sans doute l'actuelle Belalc?zar : cf.
F. Hernandez, dans And., IX, 1944, 71-109), De l'autre
côté de la plaine fluviale cordouane (a/-Qanbâniya, aujourd’hui.
la Campina), au Sud du Guadalquivir, s'étendaient les kûras peu
étendues de Cabra (Qabra) et d'Ecija (Istidjdja). Plus
à l'Ouest, c'étaient les riches circonscriptions de Carmona (Qarmûna),
de Séville (Ishbîliya) et de Niebla (Labla). A
l'Algarve (Gharb al-Andalus), c'est-à-dire à la bordure
méridionale du Portugal actuel sur l'Atlantique, correspondait
la kûra d'Ocsonoba (Ukhshûnuba), avec Silves (Shilb)
pour chef-lieu. Cette dernière circonscription était
limitrophe au Nord de celle de Beja (Bâdia). La partie la
plus méridionale d'al-Andalus se partageait elle-même en quatre
kûras : celle de Morôn (Mawrûr), de Sidona (Shadhûna),
chef-lieu Calsena (Qalskâna), d'Algeciras et de
Tacoronna (Tâkurunnâ), dont le chef-lieu était Ronda (Runda).
Plus à l'Est, la kûra de Malaga (Mâlaka), qui
portait le nom de Rayyo, avait eu pour premier chef-lieu la ville
d'Archidona (Urdjudhûna) ; elle était contiguë à la kûra
d'Elvira (Ilbîra, ant. Iliberris), à peu de distance
à l'Ouest de l'actuelle Grenade (Gharnâta). La kûra
d'Elvira touchait à celles de Jaén (Djayyân) et de
Pechina (Badjdjâna), dont le chef-lieu fut transféré à
Almeria sous al-Hakam II.
Quant
à la façade du Levante (Shark al-Andalus), sur la
Méditerranée, elle se partageait du Sud au Nord en trois
grandes kûras : celle de TudmIr, l'ancienne
principauté du prince goth Théodemir, avec Murcie pour chef-lieu,
celle de Jâtiva (Shâtiba) et celle de Valence (Balansiya),
qui arrivait jusqu' aux confins du delta de l'Ebre. Dans l'intérieur,
de l'autre côté de la Sierra Morena, une kûra englobait
la région de Tolède, prolongée vers l'Est par celle de
Santaver (Shantabariyya), avec Uclés (Uklidi) pour
chef-lieu. Il est probable que, sous le califat, les îles
Baléares (al-Djazâ^ir al-sharkiyya) formaient une
circonscription provinciale à part. De même, dans la partie
occidentale d'al-Andalus, les régions récemment pacifiées de
Mérida (Mârida), Badajoz (Batalyaws), Santarem (Shantarîn),
Lisbonne (al-Ushbûna) et peut-être Coïmbre (Qulumriyya).
Neuf
de ces kûras, dites mudjannada, jouissaient encore
sous le califat d'un statut spécial, parce que leurs territoires
avaient été concédés en fiefs en 125/742 par le gouverneur
Abu l-Khattâr al-Kalbî aux djunds syriens amenés en
Espagne par le général Baldj b. Bishr: c'étaient les
circonscriptions d'Elvira, fief du djund de Damas; de Rayyo, fief
du djund d'al-Urdunn; de Sidona, fief du djund de
Filastln; de Niebla et Séville, fief du djund de Hims ;
de Jaén, fief du djund de Qinnasrîn ; de Beja et d'Ocsonoba,
ainsi que de Murcie, fief du djund d'Egypte.
Un certain
nombre de districts excentriques sont mentionnées par al-Razî
dans le territoire de la Marche superieure : tels celui de
Tarragone (Tarrâqûna), contigu à celui de Lerida (Lârida),
celui de Barbitâniya (Boltana), celui de Huesca (Washqa), celui
de Tudèle (Tulîla), avec les villes fortes de Tarazona (Tarasûna),
d’Arnedo (Arnît), de Calahorra (Qalahurra) et de Najera (Nadjira).
IV.
POPULATION D’AL-ANDALUS
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