L'apport des Musulmans à l'Histoire est capital en deux points qui sont essentiels à cette science :
¤ L’authentification des documents, d'une part,
¤ La collection et la conservation des détails les plus variés, d'autre part.
Né dans la pleine lumière des temps historiques, l'Islâm n'avait pas besoin de légendes et de ouï-dire pour sa propre histoire. Quant aux données sur les autres peuples, on accorda à chaque récit la valeur qu'il méritait; mais l'histoire courante de l’Islâm, elle, exigeait, pour son intégrité à travers les âges, d'efficaces moyens de contrôle. L'attestation par des témoins était jadis une exclusivité des tribunaux judiciaires; les Musulmans l'appliquèrent à l'histoire : pour chaque récit rapporté, on exigea le témoignage.
Si dans la première génération après l'événement, il suffisait d'avoir un témoin digne de confiance ayant assisté à l'événement, dans la deuxième génération, il devint obligatoire de citer deux sources successives (: J'ai entendu X me dire qu'il a entendu Y raconter que dans telle et telle circonstances il a vécu tel ou tel incident); dans la troisième génération, trois sources, et ainsi de suite. Ces références exhaustives ont toujours permis de contrôler la véracité de la chaîne des sources successives, par simple référence aux dictionnaires biographiques, qui indiquent non seulement le caractère des personnages individuels, mais aussi les noms de leurs maîtres et leurs principaux élèves. Ce genre de témoignage est appliqué non seulement à la vie du Prophète, mais à toutes les branches de la connaissance transmises d'une génération à l'autre, et maintes fois, même, aux anecdotes qui ne sont transmises que pour l'amusement et le passe-temps.
Les dictionnaires biographiques sont une caractéristique de la littérature historique des Musulmans : on rédigea des dictionnaires selon les métiers, selon les villes ou les régions, selon les siècles, etc. On attachait également une grande importance aux tables généalogiques, surtout chez les Arabes; on connaît ainsi les rapports de parenté de centaines de milliers de personnages de quelque importance; et cela facilite grandement la tâche du chercheur qui veut savoir les causes des événements.
Quant à l'histoire proprement dite, le trait caractéristique des chroniques est leur universalisme. Les peuples préislamiques n'avaient produit que des histoires nationales; les Musulmans semblent avoir été les premiers à rédiger des histoires mondiales, universelles.
Ibn Is'hâq (m. 769) par exemple, qui est l'un des plus anciens historiens musulmans, non seulement commence ses volumineuses annales avec la création de l'univers et l'histoire d'Adam, mais il parle également de toutes les races connues de lui, selon les possibilités de son époque — tâche poursuivie avec un acharnement toujours grandissant par ses successeurs, Mas'ûdî, Miska-waih, Sâ'id al-Andalusîy, Rachîduddîn Khan et autres. Il est intéressant d'observer que ces historiens, à commencer par al-Tabarî, ouvrent leurs ouvrages sur une discussion de la notion du temps. Ibn Khaldûn poussera très loin ces études sociologiques et philosophiques, dans ses célèbres Prolégomènefe à l'Histoire Universelle.
Dans le courant du premier siècle de l'Hégire, deux branches de l'histoire avaient commencé à se développer : L'histoire islamique (commençant par la vie du Prophète et continuant pour l'époque des califes, et l'histoire non-islamique, tant de l'Arabie préislamique que des pays étrangers comme l'lran, Byzance, etc.
Par la suite, ces deux branches fusionnèrent, ainsi que nous le voyons très clairement dans l'histoire mondiale de Rachîduddîn Khan — encore en grande partie inédite, et composée simultanément en deux versions : arabe et persane — cet auteur parle avec une égale familiarité des Prophètes, des Califes, des papes, des rois, de Rome, de la Chine, de l’Inde, de la Mongolie, etc.
Professeur Muhammad Hamidullah
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